LES MAITRES

 

Les trois auteurs cités ci-après ont en commun des qualités qui justifient ce titre :

Leur démarche est résolument positive et vise le bien de l'humanité. Leur champ de vision est large et leur optique critique, par souci de justesse, et leur théorie est soutenue à la fois par une grande culture et par une pratique constante de la psychothérapie, gages de pertinence. Leurs exposés sont clairs, par une construction générale et une structure grammaticale simples, ainsi que l'évitement de l'usage de néologismes (ce à quoi il faut pleinement associer la qualité des traductions, le cas échéant).

Dans ces conditions, la richesse de leurs œuvres ne peut être atteinte qu'en les étudiant. Si ce ne sont quelques aspects conjoncturels de leur promotion, elles n'ont pas pris une ride.

 

Alfred ADLER

Il est né près de Vienne (Autriche) le 7 février 1870 et mort à Aberdeen (Ecosse) le 28 mai 1937, lors d'une conférence.

Enfant de mauvaise constitution physique, il montre en revanche de bonnes aptitudes intellectuelles. En 1895, il obtient son doctorat de médecine de l'Université de Vienne. Après avoir exercé la médecine traditionnelle, il se dirige vers la psychothérapie.

En 1899, il rencontre Sigmund Freud et le défend vis à vis de la profession. Toutefois, ayant une approche tout à fait différente de celui-ci sur les psychopathologies et refusant tout particulièrement sa théorie sexuelle des névroses, après un premier mouvement de retrait du cercle freudien en 1904, il s'en extrait en 1911.

Il crée en 1912 la "Société pour la Psychologie Individuelle". Ne pouvant enseigner en université à Vienne en même temps que Freud, il le fait à domicile et participe à de nombreuses conférences, entraînant la création de cercles adlériens dans de nombreux pays occidentaux. Il œuvre pour le traitement des enfants difficiles et travaille sur l'éducation des enfants en général.

Le principe de base de la théorie d'Alfred ADLER est l'opposition dans le comportement de l'individu entre le "désir de domination" (des autres hommes) et le "sentiment social", le sens positif étant la dissolution du premier par la libération du second. Il y montre, en particulier, qu'une faiblesse réelle ou supposée de l'individu dans la prime enfance le pousse à compenser par un désir de domination accru, ou que gâter les enfants est le plus mauvais service à leur rendre.

Le champ ouvert par sa théorie, comme l'ont montré les deux Maîtres présentés ci-après, n'a certainement pas toute la largeur nécessaire et la seule incitation à la collaboration sociale n'est pas d'un grand pouvoir thérapeutique.

Il n'en reste pas moins, d'une part, que limiter son œuvre à cela serait la caricaturer, d'autre part, qu'il a mis en lumière une logique de comportement dont la réalité se vérifie tous les jours et partout. Par ailleurs, il aborde la Psychologie des Profondeurs sous un angle qui est des plus favorables à y entrer : les attitudes symptomatiques des individus et l'étude des caractères.

L'œuvre d'Alfred Adler ne peut être considérée comme absorbée par celles de ces suivants et garde donc un intérêt propre, pour une prise de contact ou un premier approfondissement.

 

Carl-Gustav JUNG

Il est né à Kesswil (Suisse, canton de Thurgovie) le 26 juillet 1875, d'une famille de pasteur, et mort à Bollingen, près de Zurich, en juin 1961.

Citoyen de Bâle, il y fait de brillantes études de médecine qu'il oriente vers la psychiatrie. Il étudie ensuite à l'étranger, en particulier à Paris où il est l'élève de P. Janet. En 1900, il enseigne à l'Université de Zurich, ayant pour maître le professeur Bleuler. En 1904, il crée un laboratoire de psychopathologie expérimentale à Zurich.

En 1905, il prend le parti de S. Freud, qu'il rencontre pour la première fois en 1907 et qui voit très vite en lui un successeur possible. Toutefois, Jung est réticent vis-à-vis du caractère dogmatique de la théorie sexuelle des névroses de Freud et de la volonté de puissance de celui-ci. En 1911, il est nommé Président, à sa création, de la Société Internationale de Psychanalyse. Mais, en 1912, il publie "Métamorphose et symboles de la libido" (qui deviendra par la suite "Métamorphoses et symboles de l'âme humaine") où il rejette la prédominance du sexuel et la prise au premier degré du mythe d'Oedipe, en replaçant dans son contexte général et historique (mythologique) la psychologie analytique. Le divorce s'amorce à cette occasion et devient fait en 1913.

C.G. Jung poursuit alors seul son chemin à la découverte de l'inconscient. Il travaille, entre autres, sur les archétypes - traits majeurs de l'inconscient collectif -, sur les types psychologiques et les complexes (termes qui viennent de lui), étudie les écrits des alchimistes et fait de nombreux séjours dans des tribus primitives, en Afrique et en Inde. En 1930, il est élu Président de la société allemande de psychothérapie. En 1944, l'Université de Bâle crée pour lui une chaire de médecine psychologique. La Société internationale de psychologie analytique est fondée en 1958.

Il n'est pas utile ici de tenter de détailler l'œuvre de C.G. Jung. Il suffit d'y dire qu'elle est une formidable mine culturelle, en surface et en profondeur, une source presque inépuisable de sujets riches de réflexion et de méditation, le socle moderne de la Psychologie des Profondeurs.

Cette richesse, étonnante pour un seul homme, ne va cependant pas sans poser certains problèmes : sa faible structuration hiérarchique rend assez difficile d'en tirer une voie d'amélioration concrète pour soi-même (ainsi, corrélativement, que de décrire la méthode thérapeutique de l'auteur). En effet, tout en ayant une bien plus grande profondeur d'analyse, le travail de C.G. Jung garde un trait de la psychologie classique, à savoir une prédominance de la description sur la synthèse structurante, méthode qu'il a d'ailleurs explicitement considérée comme justifiée.

 

Paul DIEL

Il est né en Autriche en 1893 et mort en France en 1972.

Philosophe de formation, il approfondit sa propre recherche psychologique après avoir étudié les travaux de Freud, Adler et Jung. En 1945, il entre au C.N.R.S. et travaille comme psychothérapeute au Laboratoire de psychobiologie de l'enfant dirigé par Henri Wallon. Allant à contre-courant de la psychologie classique, il démontre le caractère central et incontournable de l'introspection correctement guidée dans toute démarche personnelle, thérapeutique et scientifique dans le domaine psychologique. Il consolide son approche théorique par la traduction des symboles oniriques, mythologiques et bibliques. Paul Diel a fondé à Paris l'Association de la Psychologie de la Motivation.

Paul Diel, partant des travaux de ses illustres prédécesseurs, C.G. Jung en particulier, apporte à la Psychologie des Profondeurs l'essentiel de ce qui lui manque alors : une ossature théorique correctement hiérarchisée ainsi, corrélativement, qu'une méthode thérapeutique personnelle - et, pour ce que nous en savons, professionnelle - efficace et explicite. En outre, l'appui de sa théorie à la fois sur l'analyse comportementale et sur les plus grands témoignages de l'Esprit humain est extrêmement convaincant sur le plan intellectuel.

Eminemment structurante, la contribution de Paul Diel à la Psychologie des Profondeurs est essentielle, à l'égal de celles des autres Maîtres. Nous considérons ici qu'il n'y aura pas lieu dans l'avenir, dans le seul souci de l'efficacité, d'en modifier l'ossature théorique, et par conséquent la méthode thérapeutique associée.

 

Commentaires

* Il est un Maître - auquel, donc, les qualités citées plus haut peuvent être à bien des égards associées - que nous n'avons pas pris en référence ici, bien qu'en ayant cité le nom plusieurs fois et bien que ce nom soit le plus connu de tous. Il s'agit bien sûr de Sigmund Freud (Prizbor, Moravie, 6 mai 1856. Londres, 23 septembre 1939), père de la Psychanalyse.

Ce n'est pas le fruit d'un ostracisme de mauvais aloi mais la conséquence logique de la conclusion qu'il n'est pas sain d'aborder la Psychologie des Profondeurs par la Psychanalyse freudienne, du fait de son ossature théorique erronée et même corrosive (sans nier aucunement la force potentielle de la pulsion sexuelle). En effet, même adoucie par l'élargissement des concepts - cependant toujours chargés par une terminologie sexualisante - la théorie sexuelle des névroses n'est tout simplement pas vraie dans le cas général. Ne sont pas non plus retenues ici la seconde topique de Freud, la pulsion de mort, la primauté dans l'efficacité thérapeutique de "revivre" les traumatismes infantiles, par exemple.

Les problèmes psychologiques de Freud lui-même, les fins tragiques de plusieurs de ses disciples ainsi que les incessantes querelles d'écoles, marquées par un ostracisme dogmatique typiquement vaniteux, montrent par ailleurs un certain éloignement du monde de la Psychanalyse en général des valeurs spirituelles.

Cela dit, il reste que S. Freud, outre qu'il est le père historique - dans une époque très favorable, il est vrai -, sous la forme de la Psychanalyse, de la Psychologie des Profondeurs, est un des plus grands esprits du (XIXème et) XXème siècle. Il a replacé l'inconscient au devant de la préoccupation scientifique et philosophique, le libérant du mythe erroné du conscient roi, du matérialisme et de l'hypocrisie des conventions sociales. Ce faisant, il n'a pas moins posé la première pierre de la réunion de la Science, de la Philosophie et de la Religion. Nous lui devons, entre autres, les fondamentaux que sont l'analyse des rêves et la mise à jour des phénomènes de refoulement et, partiellement, de transfert.

En outre, la Psychanalyse a toujours intimement associé à la théorie la pratique thérapeutique. Même sur une base erronée, elle a ainsi constitué un capital expérimental important. Orientée par la théorie sur le développement psychique de l'enfant en bas âge, elle est par ailleurs la seule, à notre connaissance, à avoir pu corriger des pathologies graves à ce stade de développement (M. Klein, F. Dolto, ...).

Pour finir, nous dirons qu'il y a profit à tirer de l'étude les textes de Freud, très bien écrits, mais seulement dans le cadre d'un approfondissement, après avoir abordé positivement la Psychologie des Profondeurs et s'être forgé un sens critique avec les Maîtres présentés plus haut. Ceci s'étend, voire succède, à plusieurs auteurs proches dont S. Ferenczi, K. Abraham, B. Bettelheim. A contrario les auteurs vaniteux, tous plus récents, adeptes du néologisme à tout va et plus généralement du délire verbeux sont évidemment à éviter.

* La question de savoir qui a écrit quoi le premier, en général utilisée vaniteusement pour tenter de disqualifier facilement un auteur au profit de son "champion" - dont on se fait, par défaut, le défenseur inflexible, le gardien du Temple - est vaine.

Les lois de la Vie consciente sont à la fois suprêmement importantes, immuables et régulièrement oubliées ou déformées. Elles doivent être sans cesse répétées et discutées, sous les formes les plus adaptées à chaque époque. Si l'on excepte la théorie sexuelle des névroses - fausse - tout avait déjà été écrit d'une façon ou d'une autre avant S. Freud et même bien avant lui.

Par ailleurs, un esprit brillant peut dire toute chose sensée au détour d'une phrase. Mais ce n'est qu'un trait d'esprit. Pour que l'ensemble soit efficace il faut surtout, et cela est beaucoup plus difficile, mettre l'essentiel au centre et en référence constante et le secondaire en périphérie. C'est là, par exemple, que P. Diel apporte sa contribution majeure (tout en complétant sa théorie par de nouveaux concepts, telle la banalisation, auparavant juste évoquée comme "les individus banals ou vulgaires, sans intérêt").

 

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